"L'opportunité d'une vie", lui avaient dit ses parents lorsqu'ils l'avaient déposé à l'aéroport. Il devait les rendre fiers, ils avaient tout donné pour qu'il participe à cette expérience unique. Mais le but de cette colonie de vacances n'était pas encore clair pour Jonathan : deux mois loin de la maison, sur une île gouvernée seulement par des adolescents ? Il était conscient du fait qu'il ait du mal à se faire des amis et rien que le fait de parler à quelqu'un était tout une épreuve pour lui, mais là ça semblait quand même extrême... Il avait seulement accepté parce qu'il en avait marre de sentir le regard plein de pitié que ses parents lui réservaient lorsqu'ils pensaient qu'il ne les voyait pas. Ils pensaient que le seul but dans la vie était d'être socialement heureux et savaient pertinemment que Jonathan était seul. Même s'il leur avait répété que ça lui allait très bien de vivre dans le monde que lui offraient ses livres, ils ne le comprenaient juste pas. Ils ne le pouvaient pas. Ils avaient beaucoup trop les pieds sur terre et souffraient d'un sévère manque d'imagination, alors que celle-ci était un don chez Jonathan. Il aimait s'imaginer que lors de sa naissance il avait absorbé toute la capacité créative des parents. C'était toujours mieux que de penser qu'ils n'en avaient jamais été capable.
Après des semaines et des semaines de disputes, il avait accepté, et maintenant il était dans l'avion à côté d'une fille qui s'appelait Julie. Depuis l'instant où elle s'était installée dans l'avion, elle n'avait pas arrêté de blablater. La tête de Jonathan était sur le point d'exploser et il regretta instantanément de n'avoir pris qu'un seul livre dans son sac à dos. En effet, une fois qu'il l'eut fini, il n'eut plus d'excuse pour ne plus l'écouter. Elle avait un accent bizarre ce qui rendait l'écoute d'autant plus dure, surtout que son monologue était largement constitué de plaintes sur le fait que le confort de chez elle allait lui manquer - d'après ses descriptions Jonathan en avait déduit qu'elle vivait dans un château.
En regardant les autres passagers, il remarqua qu'ils ne parlaient que très peu, pas de chance, il souffla... Il commença à compter : cent vingt-huit dans l'avion, cent vingt-trois adolescents... La probabilité que Jonathan se fasse des amis n'avait jamais été aussi élevée, "Yeay" il pensa sans espoir. Soudain, ses yeux rencontrèrent une paire de yeux verts qui le fixaient, de vraiment beaux yeux, mais il détourna son regard pendant quelques secondes et ils disparurent dans leur cachette. Il se rassit alors que Julie était en train de se plaindre du fait d'avoir oublié son polaroïd sur son bureau et continua d’ignorer sciemment le fait que Jonathan ne pouvait pas en avoir moins à faire.
Lorsqu'enfin l'avion atterrit, il ne lui prit que quelques secondes pour la perdre, avec un peu de chance il n'aurait plus à entendre sa voix d'ici jamais. Ils furent mis en groupe de cinq et dispatchés vers les hélicoptères. Jonathan eut la chance de faire parti des premiers groupes à partir vers l'île. En marchant vers son groupe, il ressentit un cruel sentiment de satisfaction lorsqu'il vit que Julie faisait partie des derniers groupes et se sentit désolée pour le pauvre garçon qui était à côté d'elle et qui semblait avoir déjà besoin de trouver un moyen de s'échapper.
La chance de Jonathan continuait alors qu'il put s'assoir à côté du pilote bénéficiant ainsi de la meilleure vue de l'île. Le vol fut court, mais il eut le temps d'admirer la beauté de l'océan, les plages avec leur sable blanc et leurs eaux turquoise, et la jungle qui s'étendait sous eux et qui semblait vivante avec ses couleurs d'un vert vif. Il remarqua qu'il n'y avait pas un seul village ni d'hôtel visible du ciel. "Le camp est caché par la jungle, mais ne vous inquiétez pas vous serez dans de bonnes mains" a dit le pilote lorsque Jonathan lui avait posé la question. Il ne se sentit tout de même pas rassuré par la réponse : vivre dans la jungle n'était pas quelque chose qu'il avait considéré et il n'était pas tellement d'accord avec l'idée de partager son lit avec ce qui vivait là-dedans.
Une fois l'atterrissage de l'hélicoptère effectué, le groupe fut rejoint par un grand garçon qui n'avait pas l'air d'avoir cinq ans de plus qu'eux. Il remercia le pilote et leur indiqua de le suivre. Ils marchèrent vers une jeep au style militaire et avant qu'ils ne montent, le garçon se mit à parler : "Salut tout le monde ! Je m'appelle Henry et j'espère que vous avez apprécié le voyage, je suis heureux de vous accueillir sur l'île de Seosha ! Tenez-vous prêts, cette expérience est unique en son genre, je l'ai vécu personnellement il y a quelques années et comme vous pouvez le voir, j'ai tellement apprécié le voyage que j'y suis resté ! Laissez-moi juste vérifier que tout le monde est là et nous partirons bien vite ! Sophie Abney ?" Une fille d'apparence très jeune leva la main, elle avait des cheveux courts blonds et portait un lapin en peluche qui avait une carotte dans sa patte. Ensuite, il y eut Felix Hickory qui avait l'air comme si un coup de vent le briserait. Les deux dernières personnes du groupe étaient Lucie et Paul Lambert, ils avaient l'air perdus et se rassuraient comme ils le pouvaient. Jonathan apprit plus tard qu'ils avaient été envoyés par leurs parents qui semblaient proches du divorce. Il les apprécia instantanément, de manière assez bizarre il ressentait qu'une énergie positive émanait des jumeaux.
Ils arrivèrent au campement une heure plus tard, ce qui parut long par rapport à la taille de l'île qui semblait plus petite vue de l'hélicoptère. Lorsqu'ils descendirent de la jeep ils purent admirer la complexité d'une structure en bois magistrale. Cela rappela à Jonathan les maisons des elfes des bois dans la série du Seigneur des anneaux et pensa que finalement il serait peut-être confortablement installé. "Là-bas il y a les chambres des anciens ; vous resterez dormir par ici". Il pointa son doigt vers un champ où tout un tas de tentes vertes étaient éparpillées. "Je vais vous amener à vos tentes ; elles peuvent contenir trois personnes en temps normal, mais pour commencer vous y serez cinq". Le petit groupe fit le tour du camping, déposant un à un chacun à sa tente. Jonathan fut le dernier à atteindre sa tente, personne ne s'y était encore installé, il put donc installer ses affaires tranquillement sans personne pour se plaindre. Il observa le campement alors que de plus en plus de petits groupes arrivaient. Une demi-heure plus tard tout le monde était arrivé, il remarqua avec horreur que Julie était installée dans la tente juste à côté de la sienne, il l'entendit expliquer à tous ceux qui pouvaient l'entendre qu'elle avait déjà fait du camping, mais que d'en ces conditions ça n'était pas possible. Les jeunes avec qui Jonathan partageait sa tente semblaient être très timide, il y avait Alexandre, Mary, Sofia et Steven. Il essaya plusieurs fois de créer un contact entre eux, mais aucun d'entre eux ne semblait en avoir envie. Il commença à trouver ses efforts inutiles et décida d'entamer un nouveau livre qu'il sortit de sa valise.
Il se sentit libre pendant quelques heures, jusqu'à ce qu'il soit interrompu par quelqu’un qui braillait. C'était l'heure de diner, donc instinctivement tout le monde se mit à suivre la voix tout en parlant gaiement, le petit encas dans l'avion n'étant plus qu'un lointain souvenir. Ils finirent par marcher au moins pendant deux heures et arrivèrent en haut d'une cascade, une très grande cascade. Tout le monde regardait l'eau couler avec un mélange d'admiration et d'appréhension. Pourquoi étaient-ils là ? Il n'y avait rien à manger et ils se mirent à penser que peut-être le diner ne serait pas pour tout de suite. Henry le garçon qui les avait accompagnés à la tente, les intima de se taire même seuls quelques personnes continuaient à bavarder et monta sur un rocher.
"Bonjour encore à tout le monde ! Je parie que vous commencez à vraiment sentir la faim donc je vais être rapide ! Sautez et mangez, sinon attendez un jour de plus avec le ventre vide". Jonathan et les autres le regardèrent comme s'il faisait une blague et allait rajouter quelque chose, mais rien ne sortit. Henry descendit simplement du rocher, prit son élan et sauta dans le vide. "Vous l'avez entendu", cria un autre jeune homme apparemment responsable maintenant, "Sautez, sautez, sautez !" Un garçon que Jonathan reconnut être Steven murmura : "C'est n'importe quoi" et suivit Henry sans se retourner. Quelques minutes plus tard la moitié d'entre eux avait déjà sauté. Pas très longtemps après, il ne restait que Jonathan, il n'avait pas bougé d'un pouce. Sa tête était envahie de pensée et de questions. Cela lui semblait bizarre qu'à une colonie de vacances pour jeunes adolescents, le premier défi soit de sauter d'aussi haut. Est-ce que ses parents l'avaient envoyé à sa mort ? Il se sentit comme si toutes ses pensées avaient pris contrôle de son corps : il était coincé dans son propre esprit, incapable de bouger ou de s'en sortir.
"Allez dépêche-toi, on a faim nous !" Le cri venant d'en bas le fit sortir de sa transe et il reprit le contrôle, de l'eau coulait sur son front, il s'approcha du bord de la cascade. Le groupe de figures d'ombre qu'il pouvait maintenant voir s'était mis à chanter : "Peureux", comme si ça lui rappellerait de ne pas l'être. Ils s'impatientaient. Il regarda ses pieds, il ne pouvait voir que ses lacets blancs, rien d'autre. L'obscurité l'appelait et il se mit à réfléchir. Tout l'avait fait sans problème à part pour Felix qui pleurait sur le côté, un sur cent, statistiquement parlant on était pas mal. Jonathan avala sa salive et dit une petite prière : "s'il existe un Dieu là-haut, aidez-moi s'il-vous-plaît". "Mais saute ma parole", lança le jeune responsable en levant les yeux au ciel.
Il ferma les yeux et sauta. La dernière pensée qui lui traversa l'esprit fut celle des jolis yeux verts. Il se prit à penser qu'il aurait bien aimé les revoir une dernière fois...
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